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Atelier de Gao Bo

QUELQUES MOTS SUR GAO BO, PAR ALAIN FLEISCHER

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Gao BO devant Le Pavillon des Jouets avant la rénovation. Photo : Maurine Tric

“ Ce serait une facilité trompeuse que d’intégrer sans nuance Gao Bo parmi la vague d’artistes chinois qui ont fait leur apparition sur la scène internationale depuis une ou deux décennies, et qui y connaissent de remarquables succès. En effet, bon nombre de ceux qui bénéficient aujourd’hui des faveurs du milieu de l’art (critiques, musées, galeries, collectionneurs, curateurs...), ont avant tout eu l’habileté de comprendre les lois du marché international de l’art, et le désir d'y conquérir de bonnes places. De telles stratégies de carrière sont nées même chez des artistes apparus lors de manifestations ou d’expositions consacrées à de réelles découvertes, comme “Magiciens de la terre”. Concernant plus spécifiquement la Chine, la Biennale de Venise de 1999, ou l’exposition “Alors la Chine ?” au Centre Pompidou en 2003, ont soudain donné une visibilité internationale à des artistes chinois (ou d’origine chinoise), diversement motivés pour atteindre une telle reconnaissance. Quant à l’ambition de se faire une place sur le marché de l’art, elle se repère bien vite : il suffit d’apporter une touche d’inspiration locale (nationale) –sorte d’accent légèrement exotique –, aux langages esthétiques et thématiques dominants, au niveau mondial, pour que cette stratégie s’avère payante pour des artistes de pays longtemps à l’écart des grands courants de l’histoire de l’art contemporain. Ce fut d’abord le cas pour la Russie post-soviétique, puis pour Cuba, l’Inde, le Brésil, l’Afrique... Mais à moyen terme, ce que rémunèrent de telles stratégies, c’est l’opportunisme d’artistes-businessmen. Car le moteur et le modèle tout-puissants de la globalisation, comme on l’appelle, n’est autre que l’économie.

En ce sens, Gao Bo qui appartient à la génération suivant celle des Huang Yong Ping, doit beaucoup plus sa notoriété aux qualités profondes et authentiques d’une œuvre très personnelle, qu’à l’effet de nouveauté et à la spéculation dont ont bénéficié ses compatriotes, ses aînés de 10 ou 15 ans. De fait, il suffit d’écouter Gao Bo raconter son enfance dans une famille au bord de la misère, à l’époque de la Révolution culturelle, puis la découverte progressive de sa vocation, pour rapprocher son destin de celui des artistes pour qui l’art a été bien plus une nécessité vitale qu’un choix de carrière. Il faut l’entendre évoquer son application enfantine à dessiner des portraits de Karl Marx, de Lénine ou de Mao Tsé Tung – l’exercice obligé des débutants dans toutes les écoles d’art de Chine, à l’époque –, puis sa découverte bouleversante, par hasard, d’une symphonie de Mozart diffusée par une station de radio confidentielle, qui le décide à se lancer dans l’apprentissage du violon – avec l’acquisition d’un médiocre instrument, grâce à des économies sur ses frais de nourriture, jusqu’à la cruelle évidence, quelques années plus tard, qu’il ne sera jamais un grand musicien, pour comprendre que l’histoire de Gao Bo est plus proche, d’une certaine façon, de celle de Van Gogh que de celle de Jeff Koons. S’il déclare qu’il n’est artiste que pour parvenir à aimer la vie, c’est après avoir révélé, à demi-mots et dans l’émotion la plus extrême, que sa mère lui avait dit, peu avant de se suicider sous ses yeux :« Sens-toi libre d’aimer l’humanité. Pour ce qui est de la haine, je m’en suis chargée ».

 

L’œuvre de Gao Bo n’a d’autre loi que celle de la recherche des moyens d’expression variés – photographie, peinture, sculpture, installation, performance, architecture... – pour dire à la fois sa passion de la création et sa hantise de la destruction, son espoir et son désespoir. Ce sont de tels sentiments antagonistes qui permettent de comprendre certains de ses gestes d’artiste : par exemple, lorsqu’il accroche de grands tirages photographiques aux murs de la galerie pour le vernissage, avant de les recouvrir de peinture noire dès le lendemain puis, un peu après dans le cours de l’exposition, d’effacer l’effacement, de chercher à retrouver l’image perdue. Ou encore, lorsqu’il émulsionne un corps de femme pour qu’il devienne le support photographique vivant, périssable, la reproduction éphémère, de cette femme idéale et éternelle qu’est Mona Lisa. Ou encore, lorsqu’il ramène du Tibet – la terre de son inspiration mystique – des cailloux dont il fait le support, prélevé à la nature et destiné à y retourner, de portraits photographiques d’êtres humains, matériau minéral à la fois des spectres et de leurs tombeaux. Si le jeune enfant, incompris parsa famille, qui voulait faire des études de beaux-arts, puis de musique, s’est finalement fait connaître, par hasard, comme photographe, la conscience de ce que certaines photographies doivent au réel plus qu’à un regard d’artiste, a conduit Gao Bo à ne tirer aucune gloire de quelques-unes de ses images de reportage, qui lui valurent d’être repéré, y compris celles, rapidement effectuées à titre d’exercice dans son école de beaux-arts, parmi l’atelier de nu académique, avec un appareil de fortune prêté par un professeur, qui lui valurent, à sa plus grande surprise, de recevoir le Prix Hasselblad.

 

La rencontre avec Gao Bo, l’écoute de son histoire telle qu’il la raconte, déjouent avec une force irrésistible la perception convenue de l’artiste comme héros d’une aventure mondaine, dans cette même société où brillent les golden boys, les traders et les champions de l’art-marchandise. De certains artistes chinois internationaux, on pourrait dire : nationalité : artiste ; profession : Chinois. Sans jouer avec les mots, j'essaierai de me faire comprendre en avançant que Gao Bo est d’abord un artiste, puisque Gao Bo est Chinois, mais qu’il n’est pas ce que le milieu de l’art appelle aujourd’hui un artiste chinois.

Alain Fleischer est cinéaste, écrivain, plasticien, photographe. Il vit et travaille entre Rome, Paris et Tourcoing. Il est, depuis 1989, directeur artistique et pédagogique du Fresnoy-Studio national des Arts contemporains, Tourcoing, France.

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